aupinard: “Je suis un homme qui souffre comme tout le monde, qui a ses peines de cœur, qui a pleuré, qui a ri aussi”
Lors d’un voyage à la montagne, aupinard tombe sur un décor composite scindé entre l’aspect industriel d’un conteneur isolé et un environnement on ne peut plus organique. L’image lui plaît et avec sa guitare il monte sur le caisson métallique pour filmer un rapide teaser. Un de ses amis se saisit de son appareil argentique et capture l’instant qui deviendra la cover de son nouvel EP, saisi par les couleurs et le rendu. Son second disque “pluie, montagnes et soleil” tient autant de ces joyeux inattendus qu’à une volonté farouche qui le taraudait depuis la sortie de son premier EP. Frédéric Opina ne veut plus correspondre à un “mood auditif”, le chanteur souhaite désormais être identifié. “Je commençais à écrire les premiers sons de la tape en 2024 avec la volonté de plus parler de moi”, nous raconte-t-il. Si 2024 a été une année de grand succès et de “belles rencontres”, l’artiste dépeint également une période difficile de sa vie vécue durant l’été. De ses états de tristesse, aupinard a puisé en son essence afin de se rendre vulnérable et moins mystérieux auprès du public. Ainsi naît un disque plus sombre que les envolées de guitare et les accords rutilants ou dansants qui ont fait sa réputation. Entretien.
Lors de notre dernier entretien l’an passé, tu évoquais ton désir de vouloir créer ton univers. Comment places-tu ce nouvel EP par rapport à cette réflexion ?
Je me sens toujours en recherche. Cet EP est une pierre à l'édifice. Dans mon premier EP, j'ai voulu montrer une première facette de ma musique, qui est très joyeuse et solaire. Pour le second, je présente quelque chose de plus nuageux. Ce sont des briques, et les singles que j'ai pu sortir en sont les consolidations. Ils me permettent par la suite de pouvoir faire ce que je veux, aller où je veux. Ces deux projets sont très explicites, on y retrouve en majorité ce vers quoi je veux aller et ce que je veux raconter. Ils vont me permettre, par la suite, de pouvoir faire des morceaux légers tout en réussissant à véhiculer des émotions et des histoires vécues. C’est toujours intéressant d’écouter un mec que tu as pu découvrir au travers de sa musique plutôt que d’écouter un mec pour ses chansons sans l’avoir identifié.
J’ai le sentiment que cet EP vient aussi comme une volonté de t’écarter de la bossa nova, un genre qui t’a popularisé, pour dévoiler une carte de visite plus ample.
Sur cette tape, il y a un morceau rap, des trucs plus jazzy, du R&B, un peu de tout, même le dernier son ‘je t’ai regardé partir’, une sorte d’électro-sunset qui représente vraiment le soleil, même s’il est triste. J’ai beaucoup été présenté, dont dans des articles, comme un porte-étendard de la bossa nova mais ça ne s’arrête pas là. Très tôt dans ma carrière, j’ai voulu me diversifier et montrer que je ne sais pas faire que ça. Cet EP est là pour montrer que, tout en restant moi-même, je peux m’en éloigner et ouvrir d’autres portes. Typiquement un morceau comme ‘Quel type de vibe ?’, s’il a été bien apprécié c’est parce qu’avant j’ai sorti un morceau comme ‘TNT’. Un son qui peut surprendre dans la tape, c’est « Esquisse ». On m’a jamais entendu sur ce registre-là. Grâce à ce morceau, si demain je souhaite sortir un autre morceau rap ou collaborer avec un rappeur, ce sera beaucoup moins surprenant et déboussolant. S’il puise dans un autre spectre, le thème reste cohérent, ça reste moi.
Crédits : Pierre Daschier
Qu’est-ce qui t’a fait réaliser que tu ne te confiais pas assez ?
J’avais lu un tweet me mentionnant qui disait que les gens voulaient plus en savoir sur moi. C’est bien beau d’écouter de la musique, c’est toujours plus réconfortant d’écouter quelqu’un que tu connais un peu plus. Certains morceaux que j’ai sortis, je sais qu’ils ne vont pas être des hits mais ceux qui ont été touchés vont l’être pour de vrai. Ce type de morceau, c’est important de les sortir car ça me permet de me livrer. J’avais envie de me livrer, parler un peu plus de ce que j’ai vécu. Au début du processus, c’était très vaste, j’ai écrit sur ma vie, mes relations, ma situation financière. Mais, pour la continuité avec la ‘aupitape 1’, j’ai finalement conservé uniquement les textes liés à l’amour. C’est pour ça que j’ai gardé 10 chansons.
Cet EP a une couleur bien différente du premier, que tu images par la pluie dans le titre de cet EP.
Ah ce n’est pas tout beau tout rose, il y a un peu moins de soleil. À la fin, il y a une légère esquisse mais le projet est très pluvieux. J’ai beaucoup été associé à des phrases du genre « aupinard c’est le soleil », à Ipanema ou au Brésil. Mais, ce que je vis n’est pas si solaire. C’est compliqué d’être mis sur le devant de la scène très tôt, il y a beaucoup de choses que je n’avais pas encore racontées. Il fallait que j’en parle.
Ce qui permet de t’humaniser justement.
C’est ça. Je suis un homme qui souffre comme tout le monde, qui a ses peines de cœur, qui a pleuré, qui a ri aussi. Je sais ce qui arrive par la suite, c’est juste une brique. Voilà ce que j’avais à dire, c’est là. Si les gens n’apprécient pas, ce n’est pas grave, je pense que certains se sentiront représentés. Dans la première tape, il y a des sons que j’ai écrit quand j’avais 19-20 ans. Aucun d’entre eux n’a pour effet de se dire “Putain, il a raison. Ah mais ça aussi je l’ai vécu.” J’y parle de Brasilia, alors que je n’y suis pas encore allé, je ne suis même jamais parti au Brésil. Je ne savais pas que cette ville n’était pas si belle que ça. Les gens ont apprécié quand même, mais il n’y a pas vraiment de cœur, de dévotion dans les paroles. Entre ‘Hortensia’ et ‘pluie, montagne et soleil’, j’ai eu un step-up au niveau des paroles. Le texte le plus sincère que j’ai fait pour le premier c’est ‘Texto’, le plus léger sur le second, ‘Pénélope’. Si tu mets les deux à côté l'un de l'autre, tu sens une différence. C’est tout un truc à travailler, ça m’a pris du temps mais je ne pouvais pas de nouveau présenter un projet du même acabit, ce n’était pas envisageable.
Par quoi est-ce que tu es passé durant sa conception ?
Avec ce projet, j’ai vécu tellement de choses denses en 2024. De fin avril jusqu’à juillet, c’était le néant dans ma vie. Après je me suis dit qu’il fallait que je me réveille, c’était complexe. Il fallait se convaincre d’aller mieux. Le soleil, c’est juste une esquisse, quand tu commences à apercevoir le bout. Quand t’es triste, il arrive qu’un jour tu te lèves et tu l’es moins. T’as retrouvé un peu l’appétit, tu souris un peu plus et ça va mieux dans ta vie. Le pire c’est que quand t’es triste et que ça va mal, y a tout qui va mal d’un coup, c’est terrible. Quand ça va mieux, tu te rends compte que t’étais passé à côté de choses qui étaient bien mais tu les négliges en fait. J’ai commencé à voir le soleil à partir de septembre. C’était tellement intense.
Sur cet EP, tu délègues en partie la production à des instrumentistes et beatmakers, de quelle manière t’ont-ils accompagné ?
Par rapport à ce que je raconte, ils vont habiller la production de manière à ce que ça transmette quelque chose d’un peu plus fort. Sur le morceau ‘Un jour ou l’autre’, quand j’ai reçu le mix, j’ai dit à mon ingé qu’il avait fait de la magie, en ajoutant des choses que je n’avais pas entendues. Il m’a répondu que Dajak était passé à son studio lorsqu’il travaillait dessus, qu’il avait pris sa guitare et avait arrangé tout seul. Ce qu’il a fait, c’était exactement ce qu’il me manquait, ça a fait une grosse différence. 2024 a été une année de belles rencontres. Sur cet EP, j’ai aussi pu travailler avec Oscar Emch, Ando ou Ismatricule. C’est vraiment comme si chaque personne que je rencontre avait ce truc en plus à mettre sur la tape. ‘Le feu’ est un morceau que j’avais fini depuis longtemps, en octobre 2023 et Ismatricule, en l’écoutant, m’a dit qu’il y avait un moment dans le morceau où il y avait de la mélancolie qui n’était pas retranscrite. Il a joué des notes de piano pour l’ajouter et le rendu était trop bien. Pendant longtemps j’ai bossé avec les mêmes personnes ou tout seul. Seul, tu finis par te restreindre, en étant dans ton aisance. Le seul morceau que j’ai produit seul sur ce projet c’est ‘Les Rêves sont dangereux’ (avec ‘Si belle dans l’appareil’, ndlr) parce que j’avais vraiment besoin de me livrer et qur personne d’autre ne pouvait comprendre ce que je ressentais.
Je voulais te reparler d’‘esquisse’. Comment ce morceau a-t-il été conçu ?
Sobek a construit, avec des samples de Marguier et yeeshi, une prod très nuageuse, limite trouble avec les 808. Quand je t’ai entendue, je me suis dit que ça devait être l’étalage. Il fallait que je me livre dessus. Il y a des sons où tu images un peu plus, d’autres où tu dois être explicite. Ici ma seule manière de l’être, c’était de débiter, de faire un état des lieux par rapport à ce qui m’est arrivé, déterminer comment je m’adresserais à cette personne. Ça ne passait pas en chanson. Parfois, des instrumentales permettent de mettre des mots sur ce que t’as vécu. Je pense que c’est l’un de mes morceaux préférés du projet.
Comment t’es-tu senti dans cet exercice ?
Ce son a pris tout son sens après que je l’ai fait. Quand je l’ai fait, il avait déjà du sens mais des choses de la vie qui me sont arrivées après ont fait qu’il a pris tout son sens. C’est un peu pareil pour tout le projet. Il n’était pas compliqué à faire, je me basais sur une histoire personnelle, comme si j’avais anticipé la chose.
C’était ta première fois sur ce type de morceau ?
De cette manière-là ? Ouais, c’était la première fois. J’ai déjà testé de faire de plus de “mélo”, sur des sons pas encore sortis, mais comme ça jamais. C’était vraiment un exercice. Je ne sais même pas comment je vais le faire sur scène parce que je sais même pas bien articuler.
J’ai la sensation d’y entendre de l’égotrip. C’est le cas ?
Ah non, c’est une histoire vraie. Il n’y a aucun mensonge dans cette chanson. Je me suis retrouvé à Montréal à faire du son avec Luidji. C’est un rêve de gosse pour moi. Il y a trois ans tu me dis ça je n’y crois pas. Je lui ai fait écouter le morceau, il a kiffé. C’est une petite dédicace pour teaser ce qui arrive.
Par rapport à Luidji, je m’étais demandé si lui, ou un autre artiste, allait être présent sur ce second EP. Finalement, tu fais le choix d’être de nouveau seul.
Pour un projet aussi introspectif, inviter quelqu’un aurait été une erreur. J’ai rencontré et fait du son avec énormément de monde l’année passée. Mais comme je le disais, cet EP est une brique. Après, on pourra s’amuser. En prenant du recul, ce n’est que mon second EP. Je n’étais personne avant ma première tape. J’ai réussi à faire le Hasard Ludique, le Café de la Danse, Trianon et un Olympia rempli avec un 7 titres qui dure 15 minutes. Ce nouvel EP est une manière de remercier l’engagement des gens parce que c’est fou d’avoir pu faire tout ça avec un EP. Par rapport aux invitations, j’ai ce truc-là de me demander jusqu’où on peut aller en étant seul et vraiment en faisant part de son histoire personnelle. Même si bien sûr, ça ne me dérange pas d’être invité, collaborer sur des projets d’artistes que j’aime bien. J’ai eu la chance de faire des morceaux qu’avec des gens que j’apprécie et que je côtoie. Néanmoins, avant les collaborations, je dois être identifié, que les gens sachent s’ils aiment ou non, s’ils se sentent représentés par mes chansons ou non. Pour moi, une collaboration doit être quelque chose de spécial. Avant d’en faire, il faut s’entendre avec la personne, passer du temps ensemble, la connaître un minimum et là ça a du sens. Je trouve ça un peu nul les collabs où les artistes se rejoignent en studio, font une photo et après ne se calculent plus. Avec Luidji, les fois où on s’est vus, on a mangé ou on était en vacances et le studio, c’est ce que l’on a le moins fait. Je suis content aussi quand je vais voir un artiste comme FEEL, qu’il m’accompagne sur un festival, qu’on s’éclate. Ça me fait vraiment plaisir, c’est au-delà de la musique.
Tu l’as d’ailleurs choisi pour ta première partie pour une date très attendue à l’Olympia.
J’adore tellement ce mec. Tu sais que c’est moi qui l’ai dm en 2022 ? Il avait mis un extrait de ‘Chico & Rita’. J’adore le morceau que l’on a fait ensemble, on a mis un an à le faire. ‘Emeraude’ a passé le million de streams, c’est son premier donc c’est grave significatif pour lui, mais aussi pour moi car c’est mon feat préféré. On va le faire à l’Olympia, ça va être magnifique.
Ce sera ta plus belle date jusque-là. Quel genre de show tu prépares ?
Faut juste venir voir (rires). Je n’avais pas assez pris au sérieux les choses avant je pense, au Trianon par exemple. Je n’avais pas de scénographie ou de répétitions au niveau des lights. Là ça n’a rien à voir. J’ai très hâte.
aupinard est à l’Olympia le 22 février prochain (complet)
Son EP ‘pluie, montagnes et soleil’ est sorti ce 31 janvier 2025.
Propos recueillis par Arthus Vaillant